« Vous nous donnez de l’humanité » : la Halte Saint- Vincent, au chevet des proches de détenus parisiens depuis vingt-cinq ans

Jeudi 12 juin 2025, les équipes de la Halte Saint-Vincent ont fêté leurs vingt-cinq ans de collaboration avec la prison de la Santé, à Paris. Au sein de la maison d’arrêt, les bénévoles de cette association catholique accueillent et écoutent les familles de détenus dans l’heure qui précède leur accès au parloir.
À l’accueil des familles du centre pénitentiaire de Paris la Santé, dans le 14e arrondissement, des guirlandes en papier colorées lévitent sur des murs fleuris par des dessins d’enfants. C’est ici, rue Messier, que les familles des personnes incarcérées à la prison de la Santé – la dernière prison parisienne – patientent, en attendant d’être conduites au parloir. Un dispositif d’accueil instauré il y a vingt- cinq ans par les Équipes Saint-Vincent (1), dont l’objectif est de maintenir le lien entre les détenus et leur famille.
« Pour les proches, c’est la double peine », explique Évelyne de Larquier, présidente de cette antenne de la Halte à Paris, élue en automne 2024 pour un mandat de trois ans. Depuis son minibar improvisé, la retraitée, ex-chargée de communication au ministère des affaires étrangères, propose sirops, café moulu ou eau minérale aux familles entrantes. « Beaucoup d’entre elles sont rongées par la honte et racontent à leurs collègues que leur mari est “en voyage”, confie-t- elle, désolée. Tout ce qu’on peut faire, c’est essayer de les soulager, sans les juger. »
Alors, le sourire aux lèvres, la présidente approche chaque visiteur et tente de rendre leur attente la moins pénible possible. Elle connaît la chanson : « Au-delà de cinq ans de peine, les familles se lassent et ne se présentent plus au parloir. »
Un cadre précis
L’idée d’un dispositif d’accueil des familles à la prison de la Santé a émergé sous la direction d’Alain Jégo, à la tête de l’établissement carcéral de 1998 à 2002. Aujourd’hui retraité, une image de la rue Messier lui revient : « La file interminable des familles qui attendent sous la pluie, le vent ou le cagnard. »
Indigné par le manque de moyens déployés pour les proches de détenus, il réussit à l’époque à convaincre la préfecture de police de faire installer en 1999, en face de l’entrée du parloir, un petit bâtiment modulable. Initialement déployée temporairement, la pièce, surnommée le « bungalow », accueille et accompagne les familles de détenus pendant plus de quinze ans.
En 2019, l’agrandissement du centre pénitentiaire permet enfin aux bénévoles de la Halte Saint-Vincent de prendre leurs quartiers au sein de la prison et de déployer de nouveaux services auprès des familles.
Tous les matins de 10 heures à 11 heures, sauf les lundis, les familles sans permis de visite peuvent déposer du linge auprès des bénévoles, qui sera examiné par les agents pénitentiaires puis remis à leur proche incarcéré. Sur une table d’écolier, Marie-Christine dresse l’inventaire de chaque sac, avec l’aide de la famille.
« C’est souvent un bon moment pour discuter », confie l’équipière, l’air espiègle. Membre depuis 2021, l’ex-opticienne de 78 ans reconnaît la difficulté et l’exigence du rôle de bénévole. « Il n’est pas toujours évident de garder la bonne distance », confie la retraitée, pour qui répondre « je comprends » à un visiteur est défendu. « On ne peut pas comprendre ce qu’ils traversent, alors on se contente de poser des questions ouvertes comme “En quoi puis-je vous aider ?” ou (sa) préférée : “Vous voulez boire quelque chose ?” »
« Ce n’est pas le monde des bisounours »
Et la liste des interdictions s’étend encore au-delà : ne pas poser de questions sur la vie privée, ne pas rester en contact en dehors du centre pénitentiaire, ne pas donner son prénom… « C’est notamment une question de sécurité », enseignent les formations de l’Uframa – Union des associations d’accueil de familles de détenus, qui alertent sur le possible intérêt de certains individus à faire passer des objets dans la prison, par le biais des bénévoles. « Ce n’est pas le monde des bisounours, ici », rappelle, Marie-Christine, d’un ton plus sérieux.
Assise, seule sur une chaise, une femme d’une cinquantaine d’années patiente, le regard fatigué. Elle a pris le bus de nuit à une heure du matin la veille, depuis Bordeaux, pour rendre visite à son ami. Le car n’est pas arrivé à l’heure initialement prévue. En retard de cinq minutes seulement, l’accès au parloir lui est refusé. « On y repense chez nous le soir, et c’est difficile », confie Évelyne de Larquier, depuis son bureau.
Encore marqué par le regard triste d’une jeune fille ou les larmes d’un père meurtri par l’incarcération de son fils, la présidente, grand-mère de dix petits-enfants, se raccroche à sa foi. « Il faut continuer à marcher dans les pas de saint Vincent », affirme-t-elle, en référence au patron des œuvres de charité, dont son association est directement héritière. Derrière elle, une lettre de remerciement, comme une lueur d’espoir, est accrochée au mur. « Merci à chacun d’entre vous, écrit l’anonyme, vous nous donnez de l’humanité dans ces moments difficiles. »
(1) Présentes dans 44 villes de France, les Équipes Saint-Vincent rassemblent plus de 1 150 bénévoles et sont regroupées en 11 régions, chacune animée par une conseillère nationale. Héritières des Confréries de la Charité fondées en 1617, elles travaillent en partenariat avec les pouvoirs publics, les diocèses, et d’autres mouvements de solidarité en France.
Article à retrouver sur le site du journal La Croix